https://www.cairn.info/revue-notes-du-conseil-d-analyse-economique-2019-1-page-1.htm
Un bref historique
L'idée par exemple de taxer les carburants fossiles n'est pas nouvelle. La première taxe sur l'essence a été appliquée en France, en 1920, l'automobile étant alors vue comme un objet de loisirs, tandis qu'en 1936 on décide d'augmenter cette taxe en vue d'en limiter la consommation (1).
La taxe carbone est une taxe dont l'idée a été avancée pour la première fois en 1973 par l'anglais David Gordon Wilson (2). Son idée était d'établir un mécanisme basé sur le marché pour réduire l'utilisation des combustibles fossiles et promouvoir l'expansion des énergies renouvelables. Le produit de la taxe ne devait pas être une nouvelle ressource fiscale pour l'État mais devait, selon son concepteur, être intégralement restitué aux citoyens.
Elle a été mise en œuvre la première fois en 2008 au Canada, en Colombie-Britannique et a eu en particulier comme effet une réduction de 17% de la consommation d'essence.
En Europe, c'est la Finlande qui en 1990, avant la première COP, en a eu la première l'initiative (3). Les pays du Nord Suède, Norvège, Danemark ont suivi tandis qu'elle a vue le jour en 2014, en France sous la dénomination de Contribution Climat Energie (CEE). Une première tentative pour instaurer une telle contribution avait été rejetée en 2010, par le gouvernement, sous le motif qu'elle pouvait "plomber la compétitivité des entreprises françaises".
Un autre mécanisme avait déjà été mis en place, en 2005, avec un système d'échange de quotas de GES pour les entreprises (4) (ETS), qui consiste en particulier à fixer un prix pour la tonne de CO2. Il n'existe cependant pas de directive dans l'union européenne réglementant la taxe carbone en 2023, tandis que certains pays (Belgique, Italie..) ne l'ont pas instauré (6). Au niveau mondial les revenus de la taxe carbone sont environ 3 fois plus faibles que ceux des provenant des échanges de quotas (5), la taxe carbone ayant pourtant potentiellement une assiette plus large puisqu'elle s'adresse aux ménages et aux entreprises. En 2020, les revenus du carbone, en général, étaient beaucoup plus faibles que les soutiens aux énergies fossiles (7).
Une brève définition
Pourtant il n'est pas facile de donner une définition en 2023 de la taxe carbone, du point de vue économique, ou fiscal. Ceci montre d'emblée la grande confusion qui entoure la finalité et les modalités d'application de cette taxe.
Si l'on se réfère à la dénomination de "CEE", adoptée en France, on peut dire que son objectif est d'être un outil pour faciliter la transition énergétique, ou du moins qu'elle s'inscrit donc dans le cadre de la fiscalité incitative. La finalité première de la taxe ne s'inscrivait pas en effet dans le but d'une baisse des émissions de GES, mais uniquement d'une incitation à économiser la consommation d'énergies fossiles et de diminuer en même temps leurs pollutions. Ce n'est que postérieurement à la création des COP, en 1995, qu'elle a été présentée comme un outil pour la transition.
La taxe peut en réalité suivant ses modalités prendre deux voies différentes: la promotion des énergies de substitution décarbonées ou l'incitation à la sobriété par la contrainte, par l'augmentation du coût des énergies carbonées (taxe pigouvienne) (8).
Les problèmes liés à la taxation du carbone
On constate au niveau mondial une grande diversité des taux de taxe carbone, certains pays ne l'ayant même pas instauré (9) (10, p4/11). Il y a également au niveau mondial une grande diversité des prix du carbone par secteur d'émission (11, p3/11): certains secteurs comme l'agriculture ou les transports ne sont pas ou peu taxés. La fiscalité portant sur le secteur des transports est en réalité élevée, en France, en comparaison de ses émissions de GES (12, p111/225), avec en 2019 le taux effectif du carbone le plus élevé (13, p112/225). Le niveau moyen des taux d'un pays est à distinguer du taux de couverture de ses émissions (14, p5/11): un niveau élevé ne correspond pas forcément à des recettes importantes, si l'assiette (le nombre de secteurs couverts) est faible. Ainsi la France avait par exemple, en 2018, les plus fortes recettes en valeur de la taxe carbone (TC) en Europe en 2018, alors que sont taux nominal était médian (graphique 15, 15, p55/215). On voit cependant que l'augmentation des revenus de la taxation du carbone sur la planète est lente, par exemple sur la période 2016-2021 (16, p8/11). Quels sont les problèmes liés à la taxation du carbone?
Au niveau économique, comme toute taxe, la taxe carbone a un effet sur la demande par l'augmentation des prix des services ou des produits, en particulier suivant l'affectation qui est faite des recettes. Elle peut cependant constituer de nouvelles ressources fiscales pour un État et a l'avantage d'une collecte aisée comme peut l'être par exemple la tva. Comme toute taxe, elle est inégalitaire puisqu'à la différence de l'impôt sur le revenu elle n'est pas proportionnelle aux revenus. Un des freins les plus importants semble, par exemple en Europe, venir de sa capacité à augmenter les prix de vente. Alors qu'une directive européenne a obtenu en 2007 une relative harmonisation des taux de tva (17), les gouvernements ne sont par exemple pas enclins à ajouter un nouveau niveau de taxation, au marché intérieur, qui est déjà caractérisé par des coûts de la main d'œuvre assez hétérogènes (18). C'est sans doute la différence de coût des produits manufacturés entre l'intérieur et l'extérieur de l'Europe, né de l'application d'un taux en moyenne moins élevé sur les produits importés qui a été à l'origine du projet de taxe carbone aux frontières, qui doit entrer en application en 2026 (19). Cette dernière taxe est critiquée par de nombreuses entreprises européennes dont le modèle économique repose sur les délocalisations, ou sur la fabrication hors de l'Europe des composantes les plus carbonées des produits. Effet de ces pressions, cette taxation européenne est en réalité très symbolique au regard de la composante carbone des importations: 3 milliards de recettes espérées pour toute l'Europe d'ici 2030 (20). Alors que les émissions carbone des importations en France sont plus importantes que les émissions sur le territoire national (21) (4min), la taxe carbone aux frontières ne s'appliquera en réalité que sur un très faible pourcentage de celles-ci. Cette taxe est aussi contestée par l'Omc en application des traités de libre échange signés (22).
La fiscalité des énergies est encadrée par le droit européen (23), même s'il n'existe pas à ce niveau de taxe carbone. En France, la loi de Finances 2018 avait prévu une augmentation de la taxe carbone sur les carburants (24), pour les particuliers, qui a provoqué le mouvement social des gilets jaunes, qui a eu pour effet de bloquer depuis cette date l'augmentation des recettes de la Ticpe, dont les recettes en pourcentage du Pib ont depuis diminué (25). La loi de finances 2018 envisageait en particulier de financer une partie de la réforme du Cice par les nouvelles recettes venant de l'augmentation de la Ticpe. Les motivations de ce mouvement n'étaient pas une nouveauté historique puisque c'est le serment du jeu de paume, suite à la convocation des états généraux, qui est à l'origine de la révolution Française. Même si le consentement à l'impôt est inscrit dans chaque loi organique LOLF, son acceptabilité effective est par exemple plus grande dans le cas des taxes affectées (26) tandis que d'après des enquêtes l'acceptabilité de la "fiscalité environnementale" serait plus faible en France que dans d'autres pays (27, p53/109).
Comme indiqué dans cette vidéo l'application d'une taxe carbone (par exemple sur les moyens de chauffage ou de transport) crée potentiellement des injustices verticales et horizontales (inégalités d'émissions au sein d'une même classe de revenus) (28, 8min). En particulier si la taxe s'applique à des dépenses pré-engagées (29) qui représentent en moyenne au moins 40% du budget des ménages (30) (31, p103/225).
L'instauration d'une taxe carbone au niveau mondial s'en bien heurté à de nombreux obstacles puisque c'était déjà la position de la Commission européenne au sommet de la terre à Rio, en 1992 (32, 6min30), alors qu'aucun accord n'a même été obtenu en 2024, dans l'Union européenne.
On le voit les problèmes rencontrés sont nombreux: moindre compétitivité des produits nationaux, difficultés d'harmonisation entre pays, modification possible des accords de libre circulation, baisse de la demande.. Certains économistes ont déjà abordé le sujet et proposé des solutions.
Le fonctionnement du marché de quotas de carbone n'est pas optimal en Europe. En effet certains pays comme les Pays bas n'ont pas du tout utilisé le produit de cette taxation pour des actions en faveur du climat (33).
Des projets pour une réforme ?
Pourtant malgré les critiques dont elle est l'objet la taxe carbone a un effet réel sur la diminution des GES. Ainsi, selon une enquête de l'Ocde la taxe carbone a contribué à une baisse de 5% des émissions entre 2013 et 2018, en France (34).
Pour pallier au caractère relativement injuste de la TC (taxe carbone), différentes pistes ont été envisagées.
L'idée générale est de redistribuer tout ou partie des recettes de la TC au citoyen ( 35, 24min). Redistribuer la totalité de la fiscalité de la TC est aussi une manière de prévoir les équilibres budgétaires à venir puisque ces recettes sont vouées à disparaître à partir de 2050, en France.
On a envisagé une redistribution ciblée des recettes de la taxe, en fonction des niveaux de revenus (36, 25min) ou l'instauration d'un revenu climatique citoyen comme cela a déjà été mis en place en Suisse (37, p124). L'économiste T. Piketty a prôné l'instauration d'une taxe carbone progressive en fonction du niveau d'émissions d'un citoyen (38, 35min). La redistribution ciblée a déjà été mis en place implicitement et pour un faible montant, en France, avec le dispositif du chèque énergie.
L'avis du présent site est qu'il ne faut pas confondre une taxe incitative avec un impôt proportionnel au revenu. La mise en œuvre de mesures redistributives en fonction du revenu s'avère difficile à mettre en œuvre en pratique et surtout ne contribue pas à résoudre directement les inégalités horizontales de niveaux d'émissions de GES, dont l'appréciation nécessite des modèles évolués et nécessairement imparfaits. La simple mesure du chèque énergie, en France, montre un dispositif qui n'est pas incitatif pour réduire l'utilisation de moyens de chauffage plus carbonés. L'instauration d'un revenu climatique citoyen ré-introduirait un dispositif inégalitaire, même si son attribution était plafonnée au dessous d'un seuil de revenus, puisque là aussi les inégalités horizontales d'émissions (habitation rurale ou urbaine..) ne seraient pas prises en compte. Il faut donc probablement envisager d'autres logiques de redistribution.
La mise en œuvre de ces solutions éventuelles est en réalité déjà conditionnée par la façon dont sont affectées les recettes au niveau budgétaire.
En 2015, avait été crée en France le "compte d'affectation spéciale Transition énergétique" dans la comptabilité budgétaire, qui a été supprimé au 1 janvier 2021 (39). Depuis cette date c'est vers le compte "programme 345, Service public de l'énergie », que l'on peut trouver des affectations budgétaires relatives à la transition. Pour autant la fiscalité environnementale qui alimente ce compte ne s'est élevé par exemple en 2021 qu'à 9 Milliards, ce qui ne représente par exemple qu'une faible part de la Ticpe. La logique de non affectation budgétaire repose en effet sur le principe de l'universalité budgétaire, qui connait toutefois des exceptions (40, 22min).
La cour des comptes dans un rapport, "La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique",a retenu en 2019 comme définition (41, p15/225) :" Le but de la fiscalité environnementale est d’inclure dans les prix de revient les externalités négatives résultant des activités humaines (gaz à effet de serre, pollution locale, atteinte à la biodiversité, bruit)". A partir de cette définition, elle a constaté en particulier: que 80% de ces recettes venaient de la taxation de l'énergie (graphique 3, p22/225, 42), que celles-ci étaient plus faibles, en 2018 qu'en 1995, en pourcentage du Pib (graphique 4), qu'elles représentaient 2.4% du Pib en 2018. Le rapport indique aussi par exemple qu'en 2018, 40 % des dépenses provenant des recettes de la Ticpe n'étaient pas affectées à des mesures favorables à l'environnement (43, p28/225).
L'examen de la répartition des revenus du carbone en 2017 par pays (44, graphique 44, p126) montre que 80% est en France affecté au budget général de l'État. Cette ventilation ne peut pas correspondre à une compensation du caractère relativement injuste de la taxe.
Notre préconisation
Nous proposons de prioriser la taxation du carbone à partir d'une taxe que l'on pourrait appeler la taxe de compensation carbone (Tcc).
La définition de cette taxe serait de ne garder que la composante actuelle de la taxe carbone qui vise à promouvoir la promotion des énergies de substitution décarbonées et de ne pas inclure la composante portant sur l'incitation à la sobriété.
Autrement dit on ne pourrait instaurer cette compensation carbone dans un domaine que s'il existe une alternative non carbonée à la production taxée.
Le système européen SEQE-EU de taxation du carbone, s'est pourtant montré à ce jour, très efficace pour réduire les émissions de l'industrie (graphique1).
Il est plus incertain que son extension à partir de 2030, aux domaines du chauffage et du transport individuels pourra s'appliquer de façon juste, malgré la mise en place d'un fonds social pour le climat, doté de 86 milliards d'euros(45a).
Si l'on considère le domaine par exemple du chauffage résidentiel (premier poste d'émissions de Ges d'un ménage) on peut par principe instaurer une telle taxe de compensation sur la consommation de gaz, de mazout (45) car il y des alternatives non carbonées: en milieu urbain les réseaux de chaleur, les chaudières à pellets, les pompes à chaleur ..
Si l'on prend le domaine du transport aérien, dans la mesure où pour l'instant les avions ne sont pas encore conçus pour supporter des carburants moins carbonés, il ne serait pas possible d'établir de compensation carbone. Par contre il serait tout à fait possible d'appliquer la tva au taux de 20% (46), ce qui contribuerait à limiter l'usage par le coût, d'autant que les transports domestiques aériens ont par exemple augmenté de 20% en 2023 (47).
Pour autant cette clarification des usages ne suffirait pas à elle seule à résoudre tous les problèmes. En effet, si l'on veut une taxe qui ait une bonne acceptabilité il faut que celle-ci soit globalement compensée par le choix d'une alternative. Autrement dit le produit des recettes de la Tcc doit par exemple servir à rendre le coût du changement de mode de chauffage nul, et à mettre le coût d'exploitation des énergies non carbonées à égalité avec celles carbonées, alors que ce n'est pas toujours le cas par exemple en 2023 (48). La France avait, en 2022, un niveau de taxation du gaz inférieur à la moyenne européenne (49). Une marge pour l'augmentation de la taxation est donc possible, alors que celle-ci a rapporté 2,4 milliards en 2019. Il serait tout à fait possible d'interdire par exemple la cuisson au gaz (comme le fera l'État de New-York à partir de 2029 (49d) (49e)) , qui représente quand même en France 6,9% (49a) de la consommation alors que la cuisson électrique représente une alternative que légèrement plus onéreuse (49b) dont l'écart de prix pourrait diminuer prochainement, en particulier à cause de la fin du bouclier tarifaire (49c). Alors que, 170 milliards seront selon les estimations dépensés entre 2021 et 2027 pour limiter le coût de l'énergie, il aurait été plus efficace à moyen terme d'affecter une partie des ces montants par exemple à la généralisation des aides à l'investissement pour la rénovation énergétique qui n'ont atteint en 2022 que 7 milliards (50, p18/82). On peut aussi d'interroger sur le fonctionnement de ces dispositifs (51, p27/82): le dispositif eco-ptz n'a par exemple représenté, en 2022, que 40 millions d'euros, alors qu'il est attribué sans condition de ressources, et associé la plupart du temps à des projets rentables. Les recettes de la Tcc sur le gaz ne permettraient pas à elles seules de financer par exemple à coût additionnel nul, sur le long terme, pour les ménages, les investissements dans des moyens de chauffage non carbonés (isolation, pompes à chaleur..). Il est donc nécessaire de faire appel à d'autres moyens de financement. Il est a minima nécessaire de flécher la totalité des revenus de taxation du carbone vers des projets liés à la transition, sur le modèle de ce qui est pratiqué en Californie (52, graphique 44,p126) et de pratiquer la compensation entre secteurs d'activité. On pourrait envisager de rediriger la totalité des recettes venant de la TICPE pour l'aide au financement de la décarbonation du chauffage, le secteur du transport ayant moins d'alternatives décarbonées, rapidement disponibles.
Il s'agit toutefois d'un pilotage des subventions qui doit viser les aides les plus efficaces, et les plus rapides à mettre en place. En effet, pour donner pour fixer les ordres de grandeur les 250Twh de consommation de gaz qui servent en France pour le chauffage domestique, ne peuvent facilement être substitués par une production électrique, puisque qu'en se basant sur le rendement de 1/3 d'une pompe à chaleur cela supposerait une capacité de production électrique additionnelle permettant une production supplémentaire de 80Twh, disponible surtout en hiver. Il est très probablement plus efficace de subventionner le développement des réseaux de chaleurs urbains, qui peuvent être proposés à près de 80% des Français (53) (la France n'est que 20éme en Europe (54)): en mettant en place la capture du carbone dans des chaufferies ou en développant la cogénération dans les centrales nucléaires (qui pourrait desservir les agglomérations situées à moins de 100 km d'une centrale) . Le dispositif de la taxe carbone ne peut être le seul outil d'une politique de pilotage de la transition. On ne pourra augmenter la Tcc sur le gaz qu'une fois que ces dispositifs de financement seront montés en puissance. A défaut, cela reviendrait à taxer les dépenses contraintes des ménages et serait donc injuste.
Dans le cadre de cette nouvelle définition de la Tcc, il ne serait pas possible d'augmenter la taxation du carbone (55, p3/20) dans le secteur des transports en 2023 dans la mesure, où il n'y a pas pour le plus grand nombre des alternatives décarbonées à coût additionnel nul. Il est cependant possible d'associer la décarbonation des transports à celle de l'industrie, en développant au préalable les e-fuels, provenant des techniques de CCUS.
Dans le domaine agricole, il est possible d'appliquer cette compensation carbone sur la vente de viande bovine, en réaffectant toutefois le produit de la taxe aux agriculteurs pour un fond de transition vers la réorientation pour l'élevage ovin (56) ou d'autres élevages moins émetteurs (57)(58)(p46). Ceci alors qu'il y a déjà un soutien public très élevé (59, p22), pour l'élevage bovin. C'est en effet, parmi les aides européennes à l'élevage celles pour la viande bovine qui sont les plus élevées (60), alors que celles -ci sont responsables de plus de 25% des émissions de méthane (61, p1/4)
Comme le note le conseil des prélèvement obligatoires (62, p221/225), les recommandations d'une réforme sont:
-clarifier la définition de la contribution carbone pour les ménages, pour en améliorer son acceptabilité
-définir des mécanismes de compensation en direction des ménages les plus affectés
-assurer la transparence dans l’utilisation des recettes de la fiscalité carbone
La mise en œuvre de ces recommandations nécessite aussi dans la pratique des évaluations économiques assez poussées, objectives et non soumises à des lobbys (fossiles, installateurs de chaudières à gaz..), pour obtenir une bonne efficacité des dispositifs publics.
On ne peut limiter la politique de la transition à une taxation forcée vers la sobriété, sans provoquer des contrecoups économiques et sociaux semblables à ceux qui résulteraient d'une politique implicite de la décroissance. Il ne faut pas sous-estimer les besoins de financement induits par la transition qui sont équivalents à ceux d'une révolution industrielle (63, p37) à hauteur de 2,3% (64) à 2,5% du Pib/an (65, p70). Il suffit de rediriger la totalité des recettes de la fiscalité écologique, qui s'élèvent à 2,5% du Pib (66, p24/225), pour compléter le financement insuffisant de la transition en 2024. Ceci est d'autant plus légitime que prés de 80% de ces recettes (qui dépendent de la taxation de l'énergie) disparaîtront dans leurs formes actuelles à l'horizon 2050.
La politique économique en France, qui affiche en particulier pour objectif de remédier au faible niveau de l'industrie dans le Pib (66a) et du déficit commercial, s'est attachée avec le rapport Gallois et la mise en place du Cice , de diminuer le cout de travail. Le cout et la réglementation du travail, vus par les réformes allemandes des lois Hartz, étaient présentés comme les déterminants quasi uniques de la capacité à exporter et d'un faible taux de chômage (66f) (66g). Le Cice a ensuite, à partir de 2021, été transformé en allégements de charges financés depuis 2021 par une tva sociale implicite, à hauteur de 40 milliards par an pour le budget de l'Etat (66b) (66i) (66j). L'idée dominante était que le coût du travail est le paramètre principal d'un faible taux d'industrialisation, alors qu'en réalité, à supposer que la cause soit unique, le cout de l'énergie semble nettement plus déterminant (66c) (66d, graphique 4) (66h, p7) (p39/96) . La part la plus importante du déficit de la balance commerciale est également due principalement, en France, à celui de la balance énergétique (66e). On voit donc que la transition énergétique dans la mesure où elle permet de renforcer l'indépendance énergétique, et est menée avec un adéquat pilotage pour diminuer aussi le coût de l'énergie, peut devenir une opportunité économique réelle.
Le montant des investissements pour financer la transition est à la fois important, ou faible si on saisit l'opportunité de la transition comme celle aussi de mener une politique économique de stimulation de la croissance par les investissements. Cela avait été fait, par exemple, en 1943 aux États-Unis où 90% du Pib servait alors l'industrie de l'armement (67, 45min), avec un taux de croissance annuel de 12%, pendant 4 ans. Cela nécessitera toutefois un pilotage économique rigoureux et précis (68, p86), qui pourra mettre en œuvre la croissante verte alors que par exemple 70% du déficit commercial en 2022, venait des importations d'énergie (69). Certains estiment que la croissance verte ne peut être soutenable que par la mise en place nouveaux dispositifs financiers (70).
Un cadre européen a été donné à un titre dit d'obligation verte en 2023 (71) , pour éviter le phénomène de greenwahshing. Le marché de ces obligations est toutefois encore peu développé puisqu'il représentait à cette date 3,5% des titres. Il faut probablement prévoir l'intervention de la Bce, pour soutenir ce marché dont la rentabilité comparative à court terme n'est pas nécessairement optimale (72) (73). A titre de comparaison l'Australie évalue à 9000 Milliards de dollars le coût de transformation de son économie vers le zéro émission basée uniquement sur les énergies renouvelables (74), et à 1500 Milliards d'ici 2030 (environ 18% de son Pib/an). Les investissements de l'Union Européenne dans l'économie verte étaient 40 fois inférieurs par exemple en 2023 à ceux de la Chine (75, 17min) (76).
Plusieurs rapports évaluent à 70 milliards par an, jusqu'en 2030 (77, p72) (78, p70) la contribution nécessaire de l'Etat Français, pour pallier au défaut d'investissement du secteur privé pour respecter les engagements de baisse de Ges de la Snbc2. Le niveau de ces investissements justifient la mise en place de nouveaux outils financiers en Europe pour augmenter la contribution du financement par l'emprunt (79). Le NGFS n'avait cependant en 2024, été à l'initiative de peu de concrétisations (80) (81) (82j) (83) (84) (85)(86).
La cour des comptes européenne en 2023, émettait des doutes sur les moyens alloués en Europe pour atteindre en 2030 les objectifs qu'elle s'est elle même fixé (87,p5) dans le cadre du pacte vert. Ceci alors qu'il n'y avait pas de volonté commune au niveau Européen, en 2023, pour la mise en place de nouveaux dispositifs, autres qu'à l'échelon national (88). Dans le cas Français, il apparaît de plus peu probable que la consolidation budgétaire envisagée dans loi de programmation des finances publiques 2023-2027(89), n'atteigne ses objectifs, la diminution de dépenses envisagée étant concomitante avec une augmentation de la "charge de la dette" (90) (91). La précédente diminution du déficit entre 2012-2017, s'était en effet étalée sur 5 ans, avec une contrainte sur les taux d'intérêts plus faible(92).
Le financement de la transition Française en 2024 dépend donc en grande partie de nouvelles mesures qui pourraient être prises dans le cadre du système européen (93) (94) (95) (p19).
Il faut toutefois être prudent sur les estimations de coût liées à la transition. En effet, une étude anglaise (96) (97): "climate policy explorer", a évalué 1500 politiques liées à la transition dans différents pays. Il apparait que l'efficacité d'une politique, caractérisée par la diminution des émissions en proportion de son coût, dépend de nombreux facteurs. L'exemple de la rénovation thermique des bâtiments, en est un exemple: en milieu urbain en comparaison des réseaux de chaleur, elle est moins efficace car elle coute plus cher en moyenne (99) (101). Cependant le développement des réseaux de chaleur dans un pays est dépendant du cadre économique mis en place: système des concessions accordées, niveau de taxation des énergies fossiles.. (100). La réglementation ou la politique de prix mise en place dans un secteur peut contribuer autant ou davantage à des résultats efficaces que des financements publiques (98). Ceci alors qu'en 2024, France stratégie estimait que les rénovations énergétiques étaient sans soutien public, non rentables (p7/16), a contrario par exemple de la géothermie en ile-de-France (p46/130), associée aux réseaux de chaleur. Cette dernière étude permet de se demander, si compte tenu de l'insuffisance globale des investissements publics dans la transition, la priorité ne devrait pas être donnée aux projets déjà rentables sans soutien public (cogénération dans les centrales nucléaires, réseaux de chaleur, développement des steps..).